[Texte] Le voyageur du temps ... enfin, ce qu'en a pensé machin

Rusé comme un renard.
Voilà, je l'ai casé.
Ne me regardez pas avec ces petits yeux remplis de mépris et rangez immédiatement ce Beretta 9mm, voulez-vous ?
Vous vous doutez bien qu'il y a une raison –aussi alambiquée et casse-bonbon soit-elle– pour que je me permette de catapulter cette expression en première phrase sans autre forme de cérémonie.
Ça s'arrête de se rouler par terre en pleurant comme un nouveau-né à qui on a mis un suppositoire ? Bien. Je préfère ça.

« Rusé comme un renard » disais-je donc, c'est exactement les mots qu'aurait utilisés machin pour qualifier le Visite-- … pour qualifier Renard. Ce qui fait donc assez sens, vous en conviendrez.
Je me dois ici de préciser que « machin » a un nom, une date de naissance, un curriculum vitae bien rempli, et un grain de beauté un peu dégueu' sur la fesse gauche, mais je ne suis pas d'humeur à me taper les présentations. La seule chose que vous avez besoin de savoir, c'est que machin est loin d'être la moitié d'un con. Ni un con tout court d'ailleurs : la personne est plutôt du genre intellectuelle.
Ce sont des choses qui arrivent.

Aussi machin n'avait-il pas pris plus d'une semaine pour se rendre compte que Renard était rusé comme un renard, et que quelque chose ne tournait pas rond à Néo-Versailles. Et, machin étant du genre tatillon quand il s'agit de mathématiques, autant vous dire que quelque chose qui ne tourne pas rond, ça le fait tourner chèvre, justement.
Eussiez vous connu machin, il vous eut été ici possible de rire de son obsession mathématique… car on n'a pas idée d'être si à cheval sur les formes géométriques quand on a une tronche pareille, j'vous assure.
Tout sarcasme, ironie, et autres joyeusetés mises à part, machin avait cette affaire de convexité en travers de la gorge, genre violent. Le garçon avait en effet démasqué la joviale troupe de saltimbanques du dimanche (AKA « le connard de l'autre monde et ses potos ») dès leur première représentation scénique.
Démasqué le tour de passe-passe du Voyageur.
Démasquée l'implication de la Reine.
Démasqué l'effet spécial tout pourri.
Et même démasqué le mec du fond de la salle qui portait un masque.
C'est dire.

Dire.
Tout dire, tout révéler au peuple de Néo-Versailles, c'était bien évidemment passé par la tête de notre ami. Le bonhomme s'était pourtant retenu au dernier moment de crier la vérité sur tous les toits en ruines de la cité, un peu à cause d'une flemme lancinante qu'il sentait poindre, et aussi un peu à cause d'un certain Renard.
Pas le genre rouquin forestier, plutôt celui qui voyage dans le temps. La différence est mince, une méprise est vite arrivée.
Il faut que vous compreniez ici une chose cruciale : machin été né, avez vécu ses quelques pauvres années d'existence, et n'avait jamais rien vu d'autre que Néo-Versailles. Il vous est sans doute aisé à ce point de l'histoire de faire un corollaire rapide quant au niveau intellectuel auquel il s'était vu confronté toute sa vie durant. Je me permets d'éclaircir mon propos en vous offrant sur un plateau d'argent serti de rubis et de franges en soie un adjectif pouvant qualifier l'entourage de machin : « crétinos ».
Dieu seul sait comment le pauvre garçon s'en était tiré pour avoir un QI supérieur à celui d'un pigeon hébété à moitié décédé avec les parents qu'il s'était cogné ses dix-huit premières années … Mais le résultat était là : machin avait cette habilité admirable de biter ce qu'il se passait autour de lui.
Quel luxe.

Dés lors qu'il eut compris qu'est-ce que le fucking bordel de quoi il se tramait avec le Voyageur, ses yeux se mirent à briller de cette lueur un peu glauque qu'on peut apercevoir dans les yeux d'un rottweiler terrier qui regarde son maître.
De l'admiration. Machin ressentait une profonde admiration à l'égard du Voyageur.
Admiration sans aucun penchant homosexuel, me permets-je d'ajouter.
Mettez-y un peu du vôtre : jamais encore machin ne s'était retrouvé face à quelqu'un d'aussi rusé, ni d'aussi capable de duper les foules de façon si magistrale. Peu déconcertant qu'il ait donc pris le temps de réfléchir avant d'annoncer à l'audience entière que l'heureux fripon qui se tenait sur scène n'était rien d'autre qu'un sombre fumiste doublé d'un vaurien. Peu déconcertant qu'il ait choisi d'applaudir comme les autres. Peu déconcertant qu'il ait gardé le silence. Peu déconcertant qu'il soit revenu à la représentation suivante. Et encore suivante. Et encore suivante.
Vraiment : peu déconcertant.

Plus déconcertant en revanche, était cette haine tacite qui ne cessait de grandir à chaque nouvelle représentation. Ce sentiment de colère irrépressible qu'il ne savait vers qui ou quoi diriger. Cette hargne sans objet concret, cette tempête intérieure sans raison ni déclencheur apparent.
Machin était pour la première fois de son existence confronté à des sentiments qui le dépassaient complètement : son âme se livrait à une terrible bataille dans les tréfonds de sa boîte crânienne. Il ne pouvait penser à une époque de sa vie où il avait été aussi passif, ni aussi hors de lui à la fois.
Véritablement : hors de lui. Il lui semblait que plus les jours passaient, plus les spectacles se succédaient, plus il devenait étranger à son propre corps.

Il prit plusieurs autres semaines à réaliser que sa tourmente était celle du coup d'état en demande d'être accompli. Sa rage et sa haine, celles dirigées contre une monarchie stupide que ce Voyageur prônait sous couvert de spectacles extravagants.
Du wizz et des jeux, en somme.

De nombreuses heures de réflexion supplémentaires firent aboutir machin à cette conclusion : toute cette affaire puait méchamment le vieux slip. C'était un fait.
Aussi n'y avait-il que deux issues à cette situation : entamer la révolution du siècle, soulever l'armée d'un peuple qui gronde, faire éclater l'horrifiante vérité, ou bien fermer correctement sa mouille.
Et ce n'est pas que machin est contre l'idée de gueuler un bon coup et de péter deux-trois rotules pour la forme, mais ce soir y'a belote chez Rémy.
Donc nique sa mère la révo'.